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Poesia : de la Poésie, des textes libres
15 février 2021

LE BESOIN D’EXTRAORDINAIRE

Le besoin d’extraordinaire, de nouveauté, de découverte, est pour le moins très répandu chez l’humain. Il est sans doute difficile de déterminer s’il s’agit d’une expression de nos gênes, autrement dit d’un besoin inné, ou s’il est développé avec l’héritage culturel. On peut sans doute trouver des arguments pour les deux possibilités, bien que je penche davantage vers la seconde.

En faveur de l’hypothèse génétique, on trouve chez les animaux de nombreuses coutumes de séduction où il s’agit de se comporter de manière extraordinaire pour emporter la faveur. Cependant je ne vois pas de cas où un animal recherche la nouveauté, ou serait particulièrement attiré par celle-ci. Cela me semblerait même être une source potentielle de danger, la nouveauté étant inconnue et donc peut-être nocive, ce que la plupart des êtres vivants évitent pour la survie de leur espèce. La découverte, chez l’animal, me semble provenir plus souvent de la nécessité de survie que d’un goût pour celle-ci. Mais peut-être justement que, sans cette volonté d’exploration, l’espèce fragile qu’est la nôtre aurait disparu et que c’est en transformant son environnement pour ses besoins qu’elle a survécu. Elle a amplifié cette tendance au long des millénaires en accumulant les technologies et en partageant ses connaissances, cumulatives, au fil des générations.

L’espèce humaine a davantage complexifié la séduction, elle l’a même généralisée à beaucoup de ses interactions. Elle a également rendu coutumier l’extraordinaire, comme par exemple les carnavals. La nouveauté semble être une bouée de secours pour beaucoup ; elle est cependant poussée par l’usage de la publicité : on donne envie d’avoir de nouvelles choses. Cette envie me semble en partie naturelle, mais également pour beaucoup construite par notre mode de vie. Elle vient de notre notion de propriété, associée sans doute à notre jalousie : on veut ce que l’autre possède, pas nécessairement pour déposséder mais par mimétisme.

Pour alimenter encore la seconde hypothèse, on peut observer comment, dès le berceau, on attire le regard du petit humain vers des choses nouvelles, préférablement spectaculaires, en les associant au plaisir, à la joie. Autrement dit, on nous montre presque dès notre naissance des choses extraordinaires et on nous fait sentir qu’il faut être heureux d’en être témoin.

On entend que pour développer son intelligence, l’humain doit être stimulé. On est heureux de voir un enfant parcourir son environnement pour le découvrir, prendre l’initiative d’agir sur celui-ci, car il fait alors preuve d’éveil. On sait qu’il faut pourtant toujours veiller sur l’enfant, sous peine qu’il se mette inconsciemment en danger : le goût de la découverte est dangereux. Un enfant qui resterait sans bouger serait très certainement testé pour y détecter un problème, comme par exemple de l’autisme. Pourtant la découverte frénétique de son environnement n’est pas une généralité chez les animaux nouveaux nés. On peut par exemple observer que les oisillons ne cherchent généralement pas à aller voir ce qu’il y a en dehors du nid avant de savoir voler, ce qui bien entendu est une bonne chose pour la survie de leur espèce.

Une personne qui ne fait rien est généralement mal vue ou soupçonnée d’être atteinte de cet état grave, en tout cas détesté, qu’est la dépression.
Le dépressif est celui qui ne parvient pas à agir sur le monde ; il est passif et, dans notre conception du bien-être, cela est une tare. L’humain semble plus heureux quand il se donne un but et quand il agit pour l’atteindre. S’il n’en est pas ainsi, il aura tendance à réfléchir à sa situation, commencera à s’étudier lui-même, et cela l’effraie souvent tellement qu’il fait tout pour l’éviter. Le fait est que peu de personnes font le choix de la monotonie, même l’accepter ne peut être que temporaire pour le bien-être de la plupart. D’où les fêtes organisées chaque année qui permettent de la rompre, paradoxalement tout en la forgeant sur les années ; la saisonnalité éloigne la lassitude. Il faut du changement, voir ailleurs, découvrir, vivre des choses extraordinaires, sans quoi au minimum on s’ennuie – et on ennuie les autres, au pire on gâche sa vie.

Il faut se rendre exceptionnel, devenir quelqu’un, avoir une belle position. Les histoires racontent la plupart du temps des réussites, au moins quelque chose de remarquable. Les célébrités sont des modèles qui permettent de vivre des vies extraordinaires par procuration. L’échec est presque impensable. Ce modèle de réussite, montré comme le seul viable, est une insulte à la majorité dont la situation n’est pas enviable et que l’on fait rêver en vain, donc que l’on frustre.

Je crois que ce besoin d’extraordinaire, de nouveauté, de découverte, est un problème autant que quelque chose de bien. C’est sans doute lui qui amène la technologie, la science, qui ne peuvent naître sans exploration, sans expérimentation. Cependant l’action transformatrice de l’homme n’est pas sans conséquence négative, nous le savons.

Si nous avons cette bonne image, ce modèle à suivre, de l’activité, nous avons pourtant aussi l’image d’une sagesse basée sur le modèle contraire. En effet, la sagesse peut être celle qui réfrène la fougue de la jeunesse qui court à sa perte, celle qui conseille de réfléchir avant de se lancer dans une entreprise aux conséquences inconnues, voire même qui tente de dissuader d’aller sur certaines voies dangereuses.

Personnellement, je cherche toujours la singularité, en particulier dans les œuvres auxquelles j’accède, mais j’accepte que ma vie soit répétitive, monotone. J’essaie d’accepter ma banalité après avoir vécu de longues années dans l’idée qu’il fallait aller le plus haut possible, être ambitieux, et constaté que cela peut être vain et ne mène pas au bonheur. Je vois maintenant que la nouveauté est illusoire, que les productions humaines innombrables sont pour l’essentiel du bruit sans beaucoup de sens, sans beaucoup de variétés essentielles ; elles ne sont que les variations infinies sur des thèmes limités.

On se leurre à vouloir se donner une direction dans un monde qui n’en a pas.

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