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Poesia : de la Poésie, des textes libres
29 septembre 2013

LA MAÎTRISE DU TEMPS PERDUE

Il y a quelque chose que je pense avoir perdu.
J’ai eu tout d’abord du mal à exprimer de quoi il s’agissait, j’ai même mis assez longtemps avant de me dire que quelque chose manquait.
C’est que les effets produits par cette perte sont difficiles à saisir.
Je ne saurais même pas dire à partir de quand cela a disparu.
Sûrement que le phénomène s’est déroulé lentement au fil des années.
Le sentiment que cela me manque survient lorsque j’envisage de faire une pause, et que je vois que je n’y parviens pas.
Je ne vois jamais vraiment sur le moment que je n’y parviens pas.
Parfois je renonce tout net dès le début à faire cette pause qui serait pourtant d’un grand secours pour ma tranquillité d’esprit.
Là où ce que je suis devenu est malin, c’est que je suis persuadé que le renoncement est bien fondé, et j’oublie aussitôt mon besoin.
Parfois j’y repense plus tard, et là je me rends compte que je n’ai pas réussi.
Mais là encore, aucune alarme ne sonne dans mon esprit, celui-ci étant trop occupé par sa routine et ses troubles obsessionnels.
Ce n’est que maintenant que je mets enfin concrètement le doigt dessus.
Je crois que ce qui a disparu c’est la capacité d’arrêter le temps, en tout cas de ne pas avoir la conscience de son inexorable mouvement vers l’avant.
Je me rends compte aujourd’hui que je deviens incapable de me concentrer sur l’écoute d’une musique que j’aime ou que je découvre, parfois de lire avec attention un livre s’il demande un peu de concentration.
Le plaisir est diminué, mon esprit étant perturbé sans cesse par des pensées parasites incontrôlables et parfois dérangeantes.
Autrefois j’avais une connaissance non parfaite, mais au moins très organisée, de mes possessions.
J’ai certes beaucoup plus d’œuvres disponibles maintenant qu’alors, mais j’ai l’impression qu’elles m’échappent.
Elles deviennent un brouillard dans mon esprit, une masse que je sais organisée d’un point de vue matériel, mais elle est un bruit de fond dans ma mémoire.
Je ne sais pas pourquoi j’ai perdu cela.
Je vois deux raisons possibles, peut-être en existe-t-il d’autres.
La première est l’âge ; les expériences et la mémoire encrées dans mon cerveau rendent difficile pour moi l’ajout de nouvelles connaissances.
La seconde est l’évolution de mon mode de vie ; ne faisant plus confiance à ma mémoire, j’organise et enregistre tout ce qui m’est important dans mes disques durs, et je prends peu le temps de vraiment faire attention à ce que j’ai pu ajouter récemment, me disant que j’ai d’autres choses à faire, ce qui est un mensonge dans lequel je me complais.
La profusion de choses nouvelles m’affole, et mon esprit se bloque lorsqu’il s’agit d’en ingurgiter une partie.
Je crois qu’avant j’avais l’impression d’un monde fermé, dont on pouvait atteindre les limites.
Je vois bien maintenant que c’est impossible, et l’abîme face à laquelle cela me place m’effraie.
Du coup j’ai l’impression d’une course en avant, pendant laquelle je ne parviens à attraper que peu d’éléments.
Je ne parviens que très rarement à freiner un peu, pratiquement jamais à revenir en arrière.
Je suis toujours poussé constamment dans un présent qui avance de plus en plus vite et j’ai les mains vides, alors qu’autrefois je pouvais être dans une bulle de temps à l’arrêt, maître de mon univers et possesseur d’œuvres que je maîtrisais.
J’étais stable alors, là je suis en déséquilibre.
La plupart du temps je l’ignore, comme le coureur ignore qu’il est constamment sur le point de chuter.
Cependant j’ai parfois, comme ici, conscience de cela, et la peur de ne pouvoir rien y faire.
J’ai la nostalgie du temps où j’en avais sans le savoir.

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